Ecrit pour l’anniversaire football de Léïla Duquaine, le jour de la fête nationale belge de l’annus horribilis 2018.
« Si vivre en poète a jamais eu un sens, c’est maintenant. Vivre en pleine conscience, ma vulnérabilité en guise d’armure. » Audre Lorde Un souffle de lumière
Poète. Je suis cachée derrière ce mot qui me semble plus accueillant que tant d’autres. J’ai envie d’être poéte·sse là où je suis, entouré·e de celleux pour qui la poésie n’est pas la religion du moment. Du calme de cet à-côté. Je croise d’autres poétesses que je sens affirmées, j’aime leur assurance à l’être. Je la ressens en cachette. J’ai envie d’être une poéte·sse caché·e. Derrière les mots des autres. Ou dans des mots que je n’ai pas dits. Que je dirais peut-être. Et cacheraient si besoin est. À la traîne des sillons de celleux qui creusent.
Bienvenue
Tout aura de la gueule
Cours vers la tentation, tend-lui les bras
Apprivoise-là comme tu peux
Elle te tanne
T’excite
T’épuise
Mais tu l’aimes
J’ai rencontré la poésie à midi, invitée par hasard. Elle avait chaque mardi d’autres appuis, elle portait encore la cravate mais l’arrachait souvent. Elle regardait en l’air dilettante ou vocalisait colombe, pie, oiseau de malheur qui prédisait que la cité deviendra montagne pelée, sans routes, sans maisons, sans avions, sans marchands. Les arbres seront les seuls points de repères, les seuls points d’ombre, les seuls habitants de cet espace de tas de pierre qui ne ressemblera plus à une ville. Et qui sait où pourrons-nous nous cacher ? La poésie qui montre les choses belles de la vie. Les choses moches de la vie, les corps, comment les corps sont embellis et salis par la vie. C’est beaulaid, la vie.
Je veux être une poéte·sse cachée derrière les luttes qui prendront la première place. Les chasses à l’homme, à la femme, à l’enfant de ces jours maudits. Je veux que mes larmes soient cachées derrière celles des autres, je veux que la poésie soit une rancontre, comme me l’écrivit Aïza, femme dite réfugiée, autre poétesse cachée. De quelle présence sommes-nous redevables ? De quelle colère devons-nous être habité·e·s ? Rancontrer est une mission poétique suffisante. Faire du bruit avec ces mots qui passent, pas posés pour une éternité refusée. Les mots imaginés des caché.e.s, celles et ceux qui n’ont pas pensé à la poésie comme à un refuge et pourtant, elle aura toujours une chambre ouverte.
Je veux être une poéte·sse loin des gourous, proche de la danse, de l’enfance qui n’a pas fini de s’imposer, de l’amour pris entre des obstacles, des herbes à béton, miracles de tous les jours. J’ai pris du temps. J’ai volé du temps et je l’ai laissé en place, j’ai évité qu’il se disperse autour, là où il aurait trop de place. Je l’ai enfermé sur lui-même, et il n’aimait pas ça. No man’s time bien pratique.
Je veux être une poéte·sse caché·e derrière le silence qui aura son mot à dire. La place qu’il prendra sera parfois étouffante, comprimant le bruit du monde, chaque souffle perdu pour le bavardage, enfermé dans la cage thoracique, sous-poitrine de vanité, gouffre pour l’angoisse de n’être qu’ici et maintenant des mots d’écran.
Je suis une poéte·sse à grand écart, timide, inconfortable, appuyé·e sur les rires des guides de partout. À la recherche d’autres salives. Avide des avis des femmes de la ville, grenouilles qui ne veulent jamais être aussi grosses que le bœuf, fourmis prêtes à chanter avec les cigales, chorales des éclipsées.
Elles crient tant de fois, presque chaque jour. Elles crient de frustration. Chaque jour, elles envahissent des périmètres. Elles crient avec ou après leurs enfants. Elles crient après le chien. Elles crient en conduisant. Elles laissent à leurs voix l’ampleur qu’elle peut avoir. Elles crient qu’elles ne sont pas d’accord et elles crient que les hommes sont fous. Elles crient quand elles chutent dans la rue, les escaliers, elles crient souvent. Elles halètent des petits cris et leurs amants leur dit encore et elles crient encore. Elles crient en chantant. Elles crient dans la nature, quand elles sautent d’un rocher. Elles crient de rage dès que l’insoupçonné se déclenche. Elles coulent du béton autour de leurs lèvres qui crient. L’air passe, le béton se fissure, elles crient. Elles crient dans la ville. Dans des lieux qui écoutent. Elles crient contre l’âge qui vient et pour l’âge qui va. Elles crient dans les impasses, elles crient dans l’ascenseur bloqué. Elles crient que le bus attende. Elles crient à table. Elles crient à tout de suite. Elles crient l’attente infinie de la sororité.
Je veux être une poéte·sse caché·e dans les nuages polluants infinis. Les ennemis identifiés. Incapable, qui refuse l’étendue calibrée. Je suis une poéte·sse qui fuit la beauté des grands bidules, des conventions esthétiques.
Définir un obsujet d’écriture et le mener à perte
Exercice de forcme
Porter chaque mot dans sa phrase
Plier les ponctuations
Mesurer les limites
Non à l’institunasalisation de l’art
Aux mensonges des vanités
Aux sphères d’autosatisfaction
Je cherche les mots d’autres poétesses cachées à livrer, autres voix de l’abîme. Je m’octroie des dissimulations, des dispersions, j’oublie et je comble les vides avec un index et un écran. Je sais que l’obstination est une guide qui gagne à chaque fois. Je veux être une poéte·sse caché·e attentionné·e. Une caresse dans le cou, des coups d’yeux doux, aucune pétition de principe ni procès d’intention cachés avec. Une poéte·sse qui sourit Joconde, une farceuse qui couche avec les mots paisibles des potesses.
#bizgriz
photo (c) Ali Talib, février 2018 à Ostende.
Texte relu et adapté en écriture inclusive.