le mot souvent #quenouilles

Les quenouilles c’est quoi ce mot souvent ?

On est dans la tautologie ou quoi ?

La tautologie de quoi ?

De moi ? de toi ?

De la vie qui fait sa magnanime capable de répétition ?

Souvent qui tient ses promesses ou pas ?

J’ai souvent dit je t’aime

J’ai dit souvent j’peux pas j’ai piscine

Et j’avais piscine et j’aimais

Ça dit quoi de dire souvent ?

Ça dit quoi de quoi de dire souvent ?

J’ai failli pas venir

Alors que je viens souvent aux quenouilles

Et que j’vais plus à la piscine

Parce que souvent, aujourd’hui j’ai envie de silence et souvent j’ai pas envie de faire encore la liste des vouloirs pouvoirs avoirs contre avoirs et mise en demeure d’être régulière

D’être singulière

Souvent je suis en retard

Souvent j’étais ailleurs

Souvent je serai pas prête à voir ce qui souvent se transforme en grosse merde de la manipulation de personne vers tout le monde

Souvent y pas d’coupable

Et souvent on en désigne

Souvent tou’le monde est coupable

Et va falloir souvent se le dire

Que c’est nous les souvent

Aussi

J’ai failli venir sans

le mot

Avec une évocation latérale

Un décalage

Un saut de puce vers le conjoint qui reformule mieux l’impression et lui permet de pas se perdre dans le bateau

J’ai failli venir avec Maria Zambrano.

J’ai failli lui laisser l’entièreté de la parole prononcée.

Je vous livre un morceau

qui cloue le bec à souvent

« j’entends par utopie la beauté irrésistible et aussi l’épée d’un ange qui nous pousse vers ce que nous savons impossible »

Ecrit-elle dans « philosophie et poésie » un livre qui a eu plusieurs naissances illégitimes avant d’être oublié, écrit par une femme oubliée.

Souvent, les femmes sont oubliées

Souvent, les femmes font des belles phrases.

Souvent les livres sont là.

Souvent, j’ai cherché dans les mots ce qui n’existait nulle part ailleurs

Un chlore qui brûlerait pas les yeux

Alors, le souvent guide ou tyran ?

Cliché ou avant-garde ?

Souvent j’ai vu qu’il y avait pas de présent

Et souvent j’ai compris qu’y avait que ça

Alors ?

Souvent nous arnaque et nous rappelle que pour performer

Suffit de se souvent-nir

De se souventinventer

De se bouger souvent

Y a les as du souvent

Qui savent mettre les petits plats dans les grands

Souvent tu as compris que c’était entre tes mains et sous tes pieds

La terre qui souvent n’a pas de frontière

Mais souvent elles sont là

Souvent on a demandé grâce

Et souvent ça n’a servi à rien

Souvent se mouille et pourtant il s’engage pas

Souvent c’est pas toujours

Souvent reste dans son coin

Qui a du temps à perdre avec ce qui est partout sans être fiable ?

Je te dis : t’es qui ? tu réponds, je suis souvent.

Et j’en sais rien, du coup, de ce qui.

De ce qui s’esquive.

Souvent t’as pas envie.

Souvent t’es lourd.

Souvent tu m’as énervée.

Moteur

Marina Tsvetaieva a dit :

 « L’avenir est peu accommodant

Où est-il, le moteur qui mène au passé ? »

J’ai passé mon permis un peu tard, selon les us de ma famille. Ma mère a commencé à conduire à treize ans. Mes frères à seize. J’avais déjà une vingtaine d’années quand je m’y suis mise. J’avais quitté l’Alsace avec un type que j’appellerai ici « le néfaste de merde », mais à l’époque, il était le fardeau que tu portes, le moteur qui t’emmène jamais où tu veux mais que veux-tu ? T’as signé un contrat où tu t’es fait arnaquer et donc, t’attends le moment où la rupture sera possible. Le néfaste de merde avait son permis, lui. J’ai souvent rencontré des hommes qui avaient leur permis, et qui donc, empêchaient les femmes de conduire. Je m’en fichais, je préférais le train.

Le néfaste de merde conduisait et si on s’était pas retrouvés dans un village de Provence, lui avec les sous que ses parents lui donnaient gentiment chaque mois et moi, avec le magot des ménages que j’avais fait aux quatre coins de Strasbourg ; il aurait saboté mon projet de permis. Le moteur, c’est celui qui décide pour les autres. Le moteur, c’est celui qui fonce et tant pis pour les fausses routes ou les déceptions. T’es embarquée, et c’est pas toi qui conduis.

On était à Eguilles, ce village que j’aimais beaucoup. Là, les virements mensuels de papa/maman lui arrivaient et il pouvait acheter du rosé, de la pizza, du chèvre au marché. Mes économies, elles, auraient une fin. J’ai cherché du travail et j’en ai trouvé. Une société de nettoyage qui s’appelait « onet », embauchait. J’ai tout de suite adoré le patron. Il parlait dix fois plus lentement que moi, et c’était le roi pour me proposer les chantiers les plus aléatoires. Une résidence qui venait de se construire, où je devais nettoyer dix cages d’escaliers, avec des portes qui grinçaient et du vent, tellement de vent, que c’était clair que l’endroit était invivable, mais un entrepreneur avait tout misé pour construire. Un immeuble au cœur d’Aix. Une sorte de squat. Il n’y avait pas d’électricité dans la cage d’escaliers. Pas vraiment de matériel pour nettoyer. Contrastes des offres et flegme du patron. J’ai commencé à travailler, et ça défilait, le paysage à travers les vitres de la voiture pour découvrir les clients. Il fallait trouver une solution. Le patron avait dit : tu devras être autonome pour les déplacements.

Le néfaste de merde était radin. Donc même s’il ne voulait pas vraiment que je conduise, c’était pire d’envisager de payer quoi que ce soit pour moi. Je me suis inscrite pour le permis. Moi aussi, j’allais conduire et diriger un moteur. Je crois que je m’en sentais incapable, mais je l’ai jamais dit. Ça ne m’intéressait pas tellement d’avoir ce pouvoir et je pensais que c’était très compliqué d’être statique au volant d’un truc qui fait des tonnes et qui roule. J’aime le mouvement ressenti. Les voitures, ça bouge mais tu ressens rien, à part si tu roules trop vite. Tu peux tuer des gens très facilement, avec une voiture. Les insulter. Faire du mal. Alors bien sûr, y a les milliers de kilomètres que tu vas enquiller pour traverser des mondes, y a les défis pour contrer les néfastes de merde et la possibilité de nettoyer des cages d’escalier aux quatre coins d’Aix qui brillaient dans le pare-brise de l’AX. Donc j’ai pas dit mes peurs et j’ai passé le code. J’ai réussi. C’était encourageant parce que les questions sont formulées de telle sorte que t’as à chaque fois une chance de te planter parce que tu ne comprends pas ce qu’on te demande.

J’ai commencé les leçons de conduite. On te dit de t’asseoir au volant d’une voiture et d’appuyer comme ça et comme ça sur les pédales et tirer et pousser le levier de vitesse et les mains sur le volant à dix heures dix et regarder devant mais aussi sur les côtés. Et tu le fais et tu cales. J’avais toujours peur de caler, je n’aimais pas le point de patinage, je détestais l’échec, y avait tant de moments plus gênants les uns que les autres où t’es dans le trafic à Aix sur la Rocade et tu roules comme une patate. C’est nul d’apprendre à conduire adulte. Ma mère avait raison, à treize ans, c’est bien. Elle piquait la bagnole de ses parents quand ils sortaient. Elle avait l’impression de vivre sa meilleure vie alors que moi, j’avais honte d’apprendre à conduire.

Mais je voulais être moteur de ma life et nettoyer des cages d’escalier en Provence. Fallait ce qu’il fallait.

Le moniteur d’autoécole ressemblait à Socrate. Il était vieux, chauve, pas beau. Le regard globuleux. Il portait des vêtements usés sans forme. Croyez-le ou non, j’ai tout de suite senti de la tension sexuelle avec lui. Pas qu’il me branchait. Non. Y avait un truc dans l’air entre lui et moi, qui me donnait envie d’aller aux leçons de conduite. J’avais honte de pas savoir conduire la voiture mais pas honte de désirer le Socrate de l’autoécole.

J’ai passé la conduite quatre fois. Je sais pas si j’étais nulle. Probablement. Je crois que Socrate était un bon moniteur, mais par contre, je suis sûre que tout ça, c’était aussi la faute à la corruption. T’as une jeune femme qui veut absolument son permis et qui paie des leçons et qui paie l’examen, et qui échoue et qui repaie des leçons et qui repaie l’examen et qui échoue et qui repaie des leçons et qui repaie l’examen et qui échoue et qui repaie des leçons et qui repaie l’examen. A chaque fois, je disais : faut pas m’inscrire si je suis pas prête. Mais en vrai, ça permettait de gagner des sous à des personnes. J’en ai un peu voulu à Socrate, et du coup, je lui ai pas donné mon corps. J’ai quitté sa compagnie de mec qui appuie sur les pédales quand tu freines pas et pousse le volant quand tu braques pas. Sans t’empêcher de le faire.

Je me souviens plus très bien de comment tout s’est enchaîné, entre le permis, le boulot, les études, l’emprise et la certitude que bientôt, je serai mon propre moteur.

Seule.

Ça a pris quelques temps, et c’est là que je voulais en venir. Quand y a quelqu’un qui veut te diriger, et qui n’hésite pas à t’intimider, à te faire du mal, à t’utiliser, à te diminuer à tes propres yeux, pour être sûr que tu t’écrases, ben c’est pas simple de dire : ah ouais, je suis moteur, j’ai moteur, je m’en fous de vivre dans un monde où je dois payer quatre fois mon permis et nettoyer des cages d’escalier aux quatre vents pour avoir l’impression de pas me faire embarquer trop loin dans la merditude. C’est pas simple, d’être son propre moteur. Et quand nous le sommes, nous autres qui avons la possibilité de rouler vers des ailleurs où les Socrate nous font de l’œil globuleux sous les carrosseries ; soyons attentives à celles qui se cognent à force de faire du sur-place.

Le silence, c’est pas lui le moteur.

Ce texte a été dit pour l’émission quenouilles du 1er décembre 2021.

https://www.radiopanik.org/emissions/les-quenouilles/les-quenouilles-moteur-trice/