26 mars

Il y a quinze ans, un cachalot de moins de deux kilos

Avait pris racine dans ma piscine

J’espérais qu’il devienne footballeur

Le bébé était en top forme

Je recevais beaucoup de coups de pieds la nuit

Ensemble on vendait des vins bios

Ça se présentait avec des contours ronds

Comme ce ventre tendu par la vie

Chaque jour suffisait pour ranger les bouteilles, les cartons

Faire les stocks et préparer les dégustations

La boutique s’appelait 20/20

Quand j’ai commencé

J’ai demandé qu’on achète une calculatrice

La vie était un compte rond

Cachalot dans le tiroir

Marié.e dans une ville

Avec une fille de 20 mois

Qui grimpait sur les meubles comme n’importe quel écureuil

Y avait des points de repères

De l’amour

Des recettes et des siestes dans l’arrière-boutique

J’avais l’impression d’avoir réussi ma vie

Un truc facile, la vie

Quand tu peux porter des salopettes, des enfants et des cartons de vins

La boutique était petite et la plupart des gens qui se pointaient

Était des habitué.e.s

Il y a quinze ans j’attendais un enfant qui avait encore deux mois

Pour se pointer en 2008

L’année des jeux olympiques de Pékin, du conflit russo georgien, de la faillite de Lehman Brothers. Le début de la crise financière. De l’extension de l’interdiction de fumer dans les restaurants, les boîtes de nuit, les casinos et les bars, de la fraude de Jérôme Kerviel qui a entraîné une perte 4,9 milliards de dollars, du mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla Bruni alors que j’écrivais S’éclipser qui parlait du mariage d’un homme politique avec un mannequin, (et du coup, l’abandon du texte dans mon ordinateur pendant 7 ans,  je voulais en aucun cas être pythie sarkozyste), des émeutes antichinoises sévèrement réprimées au Tibet, de 75000 morts dans un tremblement de terre au Sichuan, l’année où le criminel en série Michel Fourniret a été condamné à la réclusion à perpétuité, l’élection de Barack Obama, et pour finir l’affaire Madoff, escroquerie financière du siècle.

26 mars au matin

Un jour de pluie

Et de surprise

Le jour où j’ai rencontré mon fils

Ejecté par un streptocoque B

Avant que 18h ne sonne

Le mot grand prématuré ajouté au lexique qui qualifierait

La mise au monde

Tu captes bien dans ta chambre de travail que le bébé va arriver

Avec les questions que les docteurs te présentent comme faisant partie de celles

Qu’il faudra poser

Et les réponses qui sont toutes formulées

Par : on ne sait pas

Ma vie elle est devenue aquarium

Deux mois à peaufiner l’enfant autrement

Il était là

Dans un four transparent pour bébés pas finis

et les tee-shirts dans lesquel on le glissait

Pendant les heures de la journée

Un nouveau travail de patience

Et de responsabilités

La neonat le lieu où les neo bébés

Et leurs neo parents se rencontrent avec des neo tuyaux et des neo alarmes

Mon fils le cachalot n’a jamais montré

Peur ou regret

De sa naissance

Le mot différent, différence, dis fais rang, ou pas

Le bébé s’en fichait d’être différent             

J’étais remontée comme une horloge révolutionnaire

Qui chaque matin sonne la bataille de la vie

L’enfant et moi et tou’le monde qui l’a voulu

Son père ce héros

Sa sœur écureuil

On se battait

Pour être une famille dans une ville où un hôpital nous abritait

Le fils était né, le frère était là

Il tenait dans la paume de la main

C’était le plus bel inca miniature de la création

Il irradiait la confiance et le sacré

Quelque chose qui n’a pas changé

Quinze ans passés

Des heures avec des alarmes

Des heures avec des diagnostics

Des heures avec des tests

Des heures avec des bilans

Des heures écureuils et des heures à reparamétrer

Des heures sans compter

Des heures avec des fatigues qui ressemblaient à des paires de chaussettes dépareillées

Tu sais pas comment tu vas marcher

Mais t’en attrape deux qui font pas la paire

Et tu files doux

Parce que c’est le pied de pas rester englué

Dans les assignations

Nous avancions

Le petit il cassait la baraque

Sa couveuse

Son gavage

Ses bradycardies

Ses retards moteurs

Il s’en fichait

Il a grandi

Quinze ans à être lui

À pas douter

Que sa vie est la sienne

Avec des contours précis

L’enfant sage aux blagues illimitées

Pas gêné d’incarner la sérénité

Le bébé qui a pas cherché à marcher sur les plates-bandes de quiconque

L’enfant qui s’est pas laissé marcher sur les pieds

L’ado qui se tient debout avec respect

Qui pose chaque pas comme une victoire pas triomphante

Le jackpot que tu choisis

Pas besoin de casino

De crise financière

De matin pourri

Et de silence autour

Pour vivre

Et faire sa vie

Merci Cachalot, franchement

Tu gères

Tu seras pas footballeur

Peut-être gamer

Ou gourou

Peut-être président comme Barack Obama

Mais pas comme Sarkozy

Cétacé à jamais

#bizgriz

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