La chambre

Ecriture commande pour la Biennale de Molenbeek, la chambre est un lieu qui s’habite avec des photos mémoires et des mots d’après. La chambre de vie et de mort, la chambre noire qui permet de développer les tirages, la chambre du château du Karreveld, qui expose.

Ian Dykmans m’a confié une sélection de tirages autour de la disparition de sa mère. Une enveloppe comme premier moment d’une rencontre qui en comptera d’autres. Entre visite dans la chambre noire et discussions sur comment habiter ensemble la chambre mise à disposition au Château du Karreveld, j’ai proposé à Ian des fragments, envisagés également comme des tirages, écrits sous l’égide du peu importe, la thématique de la Biennale. Du peu qui importe.

Dans un souci de ne heurter personne, pendant l’exposition, la chambre du Château exposera la vie et la salle de bains, attenante sera réservée aux personnes pour qui le souvenir peut passer par une représentation littérale du corps en train de disparaître et tout juste disparu.

Les photos de Ian Dykmans permettent de capter la mémoire de sa mère, au fur et à mesure que cette fonction précisément, se dilue. La mère oublie, elle ne sait plus être celle qu’elle avait été. Mère qui porte le souvenir et le perd.

Les mots, en écho, sont comme des flash. Autres mémoires, celles de la rencontre, celles d’une autre vie et d’autres disparitions. Des photos d’arbres, de forêts, permettent de déplacer le propos vers des photosynthèses bienvenues.

Une fois l’exposition terminée, une trace sera disponible.

L’exposition est prévue au Château du Karreveld du 18 au 23 mars 2023.

Des ateliers d’écriture de mémoires fragments sont proposés sur demande.

Ecrire à aliettegriz@gmail.com

iel

Comment je suis devenu.e iel et qu’est-ce que ça engage de moi face aux autres ?

L’intimité, c’est quelque chose de bien enfoui dans une vie. On croit qu’on sait se dire, et j’ai souvent essayé. Mais tu connais la théorie des icebergs et de leurs faces cachées. Tu vois de toi, comme les autres, ce qui dépasse et quand tu veux creuser, tu risques le naufrage. Comment tu t’aimes et t’es aimé.e, ta vie, le cadre que t’as plus ou moins choisi ; plus tu creuses, plus tout ça se colle et se décolle et change de gueule. J’ai rencontré beaucoup d’humain.e.s qui semblaient bien dans leurs baskets et pas trop perché.e.s ni trop abîmé.e.s, mais depuis quelques années, ça passe d’une vérité à l’autre. C’est plus juste la bonne enfance et le kif d’être là et la curiosité et la capacité à s’épauler ; et l’envie de mettre des paillettes dans les journées, qui fondent des unions qui sont une somme d’unités.

Moi aussi, j’ai changé. J’ai perdu un frère et je savais plus qui j’étais. Le monde que j’habitais m’a semblé en toc sur bien des points. J’étais entre deux, trois mondes. Tous semblaient proches. Certains, habités avec des émotions et des envies, dont j’avais perdu le goût. Le deuil de mon presque jumeau m’a enlevé la capacité de me projeter.  

J’ai vite compris que celle qui existait juste avant, ne pourrait plus faire semblant de rien.

J’avais jamais pensé à mon pronom comme à un choix que j’aurais, une question à me poser. J’avais grandi en elle. La binarité est un monde qui offre des solutions simples.

Je vais pas te dire que cela m’a plu, à six ans passés, de comprendre que je ne pouvais pas être un garçon. Je me souviens très nettement des moments où je suis devenu.e elle. Pas forcément une évidence. Je n’en ai jamais parlé. Y avait pas besoin.

J’étais une personne qui souffrait pas de discrimination et que personne empêchait de respirer tranquille.

Barbatruc parmi les autres qui savent que nos corps et nos cœurs sont des formes qui ont de la plasticité, de la capacité à bouger, se déformer, devenir.

Après la disparition, j’ai senti que j’étais plus capable de me restreindre. Et puis, on le dit, les défunt.e.s ont leurs spécialités. Celle de mon frère a été de pas s’éclipser complètement. Il est parti trop vite et je pense qu’il avait besoin que son âme fasse encore un peu partie des vivant.e.s.

Je tape dans le moteur de recherche : « devenir iel ». Je clique sur quelques articles de vulgarisation sur la non binarité. Je lis l’importance de ce pronom pour la transidentité et la possibilité de l’adopter en gage de solidarité. Je lis et même si je connaissais cette origine, cela me semble important de rappeler d’où vient la pensée queer, de savoir ce que je dois à qui.

C’est pas possible de tout catégoriser, tout binariser. Moi, je peux plus. Il a fallu des courages, des obstinations, des discriminations, des crimes et des étapes difficiles pour que d’autres, comme moi, puissent endosser le pronom de leur choix, sans que personne ne vienne nous demander des comptes.

Un pronom arrive, tu l’entends, et un jour tu sais que c’est le tien. Quand tu l’énonces, tu peux dire quelque chose que tu voulais pas cacher, mais que pendant longtemps, tu pouvais pas montrer. J’ai bien aimé être iel sans le savoir. Me dire : fille c’est pas que ça. Garçon, c’est aussi là. J’ai fait le maximum, je crois, pour me capter dans une vision qui prenait de la distance. Pour pas faire genre. Me dire : je suis quelque part au milieu des autres et ça me porte. Et c’est peu arrivé qu’on me reproche de pas être dans la bonne case, même si je sais les efforts de conformité que ça m’a demandé.

J’ai adopté iel en un clin d’œil, pendant un tour de table où chacun.e devait préciser son prénom, son ou ses pronoms. J’ai tout de suite su ce que je voulais répondre. J’ai eu une minute pour me décider à le faire vraiment. Je sais que j’aurais pu changer de pronom plus tard. C’était la première fois qu’on me posait la question, plutôt que me donner la réponse. Personne ne me jugeait et n’exigerait que je me justifie. J’ai répondu, j’ai rougi, et le tour a continué. Le lendemain, j’ai reçu un message de soutien. Générosité trans que je n’oublierai pas.

Depuis, chaque fois qu’on m’a reposé la question, j’ai pu répondre avec un peu plus d’assurance. C’est plus la face cachée d’aucun iceberg, mais une comète qui a encore des orbites à explorer.

Ce texte, je l’ai écrit pour remercier et dire autour : il y a des questions qui ne sont pas assez posées.

Je n’avais pas mesuré à quel point cette question si simple était bien plus qu’un détail.

Qu’elle est longue, l’aventure de se chercher.

Merci à vous, les personnes trans que j’ai rencontré.e.s qui faites attention à ce que chacun.e puisse le faire.

le mot souvent #quenouilles

Les quenouilles c’est quoi ce mot souvent ?

On est dans la tautologie ou quoi ?

La tautologie de quoi ?

De moi ? de toi ?

De la vie qui fait sa magnanime capable de répétition ?

Souvent qui tient ses promesses ou pas ?

J’ai souvent dit je t’aime

J’ai dit souvent j’peux pas j’ai piscine

Et j’avais piscine et j’aimais

Ça dit quoi de dire souvent ?

Ça dit quoi de quoi de dire souvent ?

J’ai failli pas venir

Alors que je viens souvent aux quenouilles

Et que j’vais plus à la piscine

Parce que souvent, aujourd’hui j’ai envie de silence et souvent j’ai pas envie de faire encore la liste des vouloirs pouvoirs avoirs contre avoirs et mise en demeure d’être régulière

D’être singulière

Souvent je suis en retard

Souvent j’étais ailleurs

Souvent je serai pas prête à voir ce qui souvent se transforme en grosse merde de la manipulation de personne vers tout le monde

Souvent y pas d’coupable

Et souvent on en désigne

Souvent tou’le monde est coupable

Et va falloir souvent se le dire

Que c’est nous les souvent

Aussi

J’ai failli venir sans

le mot

Avec une évocation latérale

Un décalage

Un saut de puce vers le conjoint qui reformule mieux l’impression et lui permet de pas se perdre dans le bateau

J’ai failli venir avec Maria Zambrano.

J’ai failli lui laisser l’entièreté de la parole prononcée.

Je vous livre un morceau

qui cloue le bec à souvent

« j’entends par utopie la beauté irrésistible et aussi l’épée d’un ange qui nous pousse vers ce que nous savons impossible »

Ecrit-elle dans « philosophie et poésie » un livre qui a eu plusieurs naissances illégitimes avant d’être oublié, écrit par une femme oubliée.

Souvent, les femmes sont oubliées

Souvent, les femmes font des belles phrases.

Souvent les livres sont là.

Souvent, j’ai cherché dans les mots ce qui n’existait nulle part ailleurs

Un chlore qui brûlerait pas les yeux

Alors, le souvent guide ou tyran ?

Cliché ou avant-garde ?

Souvent j’ai vu qu’il y avait pas de présent

Et souvent j’ai compris qu’y avait que ça

Alors ?

Souvent nous arnaque et nous rappelle que pour performer

Suffit de se souvent-nir

De se souventinventer

De se bouger souvent

Y a les as du souvent

Qui savent mettre les petits plats dans les grands

Souvent tu as compris que c’était entre tes mains et sous tes pieds

La terre qui souvent n’a pas de frontière

Mais souvent elles sont là

Souvent on a demandé grâce

Et souvent ça n’a servi à rien

Souvent se mouille et pourtant il s’engage pas

Souvent c’est pas toujours

Souvent reste dans son coin

Qui a du temps à perdre avec ce qui est partout sans être fiable ?

Je te dis : t’es qui ? tu réponds, je suis souvent.

Et j’en sais rien, du coup, de ce qui.

De ce qui s’esquive.

Souvent t’as pas envie.

Souvent t’es lourd.

Souvent tu m’as énervée.

Résoluvélation(s)

Une année de plus qui a miné la terre

Des jours à faire comme si

Des jours à faire comme ça

Il y avait des spécialistes du temps à fabriquer du futur

Et d’autres qui ont pas décollé du passé

L’année plus un qui augmentait rien

On lui doit quoi ?

Y a des années poubelles

Et d’autres abeilles

Mais c’est pas facile de trier les années mieux que nos déchets

J’ai dit à Léïla le 31 : on peut pas la biner

L’année 2021

Nacera est née pour nous

On a profité de chouettes courroux

Tant de trucs ont percé nos cœurs

Des aiguilles et des bonnes heures

Nos cœurs sont pas sur terre pour rester tranquilles dans nos poitrines

Pas pour être apaisés du matin au soir

L’année s’est terminée

L’année à faire des mines oui

Taire les mines on peut aussi

Un certain rapport au silence s’est imposé

Une année de plus qui faisait l’unique

Pas plus longue ni plus courte qu’une autre

Trois cent soixante-cinq jours à dérouler

Avec des heures qui mettaient des pâtées dans nos gueules

Et d’autres qui lançaient des perches vers nos doigts pour les allonger

L’année haricot magique

Mauvaise herbe

L’année qui t’explose à la gueule

Mais c’est comme la révolution

Tu te dis : cette année-là, elle a permis de plus faire comme si

Plus faire comme ça

2021 t’as été contrastée

Tu m’as donné beaucoup et pris énormément

J’ai eu l’impression d’atteindre la fin

De comprendre qu’elle était tapie partout

Dans les plis de nous qu’on a pas forcément voulus

Et tant mieux

Tu m’as appris à aimer la mort, la vie et les engrenages

Y a pas de petite résoluvélation

J’essaie de trier ce qui m’entoure pour pouvoir le dire sans laisser plus de bordel

Qui minera la terre

Y a pas de petite résoluvélation

Mais y a des jours pour trier et des jours pour biner

Et même si la terre est moche

Et qu’elle en a marre qu’on vide sur elle nos poches

Elle continue de tourner

La résoluvélation c’est ça

Faut continuer à tourner en rond

Et à déminer ce qui se termine

Faut doubler les mises

Et chercher ce qui compte

La résoluvélation est pas loin

Du tas de jours à découvrir

Et à trier sans se fatiguer

Pour le recouvrir de

#bizgriz