iel

Comment je suis devenu.e iel et qu’est-ce que ça engage de moi face aux autres ?

L’intimité, c’est quelque chose de bien enfoui dans une vie. On croit qu’on sait se dire, et j’ai souvent essayé. Mais tu connais la théorie des icebergs et de leurs faces cachées. Tu vois de toi, comme les autres, ce qui dépasse et quand tu veux creuser, tu risques le naufrage. Comment tu t’aimes et t’es aimé.e, ta vie, le cadre que t’as plus ou moins choisi ; plus tu creuses, plus tout ça se colle et se décolle et change de gueule. J’ai rencontré beaucoup d’humain.e.s qui semblaient bien dans leurs baskets et pas trop perché.e.s ni trop abîmé.e.s, mais depuis quelques années, ça passe d’une vérité à l’autre. C’est plus juste la bonne enfance et le kif d’être là et la curiosité et la capacité à s’épauler ; et l’envie de mettre des paillettes dans les journées, qui fondent des unions qui sont une somme d’unités.

Moi aussi, j’ai changé. J’ai perdu un frère et je savais plus qui j’étais. Le monde que j’habitais m’a semblé en toc sur bien des points. J’étais entre deux, trois mondes. Tous semblaient proches. Certains, habités avec des émotions et des envies, dont j’avais perdu le goût. Le deuil de mon presque jumeau m’a enlevé la capacité de me projeter.  

J’ai vite compris que celle qui existait juste avant, ne pourrait plus faire semblant de rien.

J’avais jamais pensé à mon pronom comme à un choix que j’aurais, une question à me poser. J’avais grandi en elle. La binarité est un monde qui offre des solutions simples.

Je vais pas te dire que cela m’a plu, à six ans passés, de comprendre que je ne pouvais pas être un garçon. Je me souviens très nettement des moments où je suis devenu.e elle. Pas forcément une évidence. Je n’en ai jamais parlé. Y avait pas besoin.

J’étais une personne qui souffrait pas de discrimination et que personne empêchait de respirer tranquille.

Barbatruc parmi les autres qui savent que nos corps et nos cœurs sont des formes qui ont de la plasticité, de la capacité à bouger, se déformer, devenir.

Après la disparition, j’ai senti que j’étais plus capable de me restreindre. Et puis, on le dit, les défunt.e.s ont leurs spécialités. Celle de mon frère a été de pas s’éclipser complètement. Il est parti trop vite et je pense qu’il avait besoin que son âme fasse encore un peu partie des vivant.e.s.

Je tape dans le moteur de recherche : « devenir iel ». Je clique sur quelques articles de vulgarisation sur la non binarité. Je lis l’importance de ce pronom pour la transidentité et la possibilité de l’adopter en gage de solidarité. Je lis et même si je connaissais cette origine, cela me semble important de rappeler d’où vient la pensée queer, de savoir ce que je dois à qui.

C’est pas possible de tout catégoriser, tout binariser. Moi, je peux plus. Il a fallu des courages, des obstinations, des discriminations, des crimes et des étapes difficiles pour que d’autres, comme moi, puissent endosser le pronom de leur choix, sans que personne ne vienne nous demander des comptes.

Un pronom arrive, tu l’entends, et un jour tu sais que c’est le tien. Quand tu l’énonces, tu peux dire quelque chose que tu voulais pas cacher, mais que pendant longtemps, tu pouvais pas montrer. J’ai bien aimé être iel sans le savoir. Me dire : fille c’est pas que ça. Garçon, c’est aussi là. J’ai fait le maximum, je crois, pour me capter dans une vision qui prenait de la distance. Pour pas faire genre. Me dire : je suis quelque part au milieu des autres et ça me porte. Et c’est peu arrivé qu’on me reproche de pas être dans la bonne case, même si je sais les efforts de conformité que ça m’a demandé.

J’ai adopté iel en un clin d’œil, pendant un tour de table où chacun.e devait préciser son prénom, son ou ses pronoms. J’ai tout de suite su ce que je voulais répondre. J’ai eu une minute pour me décider à le faire vraiment. Je sais que j’aurais pu changer de pronom plus tard. C’était la première fois qu’on me posait la question, plutôt que me donner la réponse. Personne ne me jugeait et n’exigerait que je me justifie. J’ai répondu, j’ai rougi, et le tour a continué. Le lendemain, j’ai reçu un message de soutien. Générosité trans que je n’oublierai pas.

Depuis, chaque fois qu’on m’a reposé la question, j’ai pu répondre avec un peu plus d’assurance. C’est plus la face cachée d’aucun iceberg, mais une comète qui a encore des orbites à explorer.

Ce texte, je l’ai écrit pour remercier et dire autour : il y a des questions qui ne sont pas assez posées.

Je n’avais pas mesuré à quel point cette question si simple était bien plus qu’un détail.

Qu’elle est longue, l’aventure de se chercher.

Merci à vous, les personnes trans que j’ai rencontré.e.s qui faites attention à ce que chacun.e puisse le faire.

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