Il faut prendre son temps : Roger Caillois

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Éloge du labyrinthe infini, un portrait de Roger Caillois (1913-1978) Conférence des Midis de la poésie  de Christophe Van Rossom

Lectures de Antoine Motte dit Falisse

Ceux qui ont fait des études se souviennent peut-être de la relative ivresse qu’il y a à se plonger dans une œuvre, et à évoluer à l’intérieur avec la familiarité de celui qui en connaît les articulations, les légers changements de cap qui vont permettre à une théorie d’évoluer, le tout finissant par se digérer en une belle monographie critique, avec quelques concepts clefs. Lire la suite

ça marche, robert ?

Midis de la poésie – Robert Walser

Conférence de Gérald Purnelle, avec Sarah Delforge

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« oh cette vitesse dans le déploiement de toutes mes lenteurs » Robert Walser

… Il y a des yeux ouverts, des femmes qui baillent, des hommes qui dorment, et un fantôme qui plane, comme un « vagabond immobile* » déguisé en polichinelle.

C’est mardi midi, vous le savez, c’est poésie et cette semaine, c’est Robert Walser qui vient vous susurrer quelques promenades à l’oreille. Et si vous n’avez pas mis le pied dehors depuis longtemps (non, maintenant, le week-end, on fait du shopping et du jogging, et la semaine on travaille, la marche, c’était bon pour les siècles passés) et bien, laissez-vous faire, un pas après l’autre.

Installez-vous, cessez ce bourdonnement de voix, silence. Si vous avez déjà cherché à aligner les mots, des mots de recherche qui vont rendre compte d’instants en train de se passer, vous vous y retrouverez. Si vous aimez les chemins de traverse, et c’est ainsi, le sens propre sera toujours un peu dépassé par le sens figuré, et bien lisez cet auteur, et lancez-vous à ses trousses.

Robert Walser a souvent écrit avec comme support un personnage qui est un double de soi. Un « personnage conformiste qui cache son anticonformisme », explique Gérald Purnelle. Il fait noir, et Robert Walser arrive à Berlin où il écrit des romans. Dans chacun, un personnage central qui occupe les fonctions de commis, en recherche de rupture et de soumission. Être au monde et définir sa propre place. Pas plus. Pas moins. Un succès d’estime et d’admiration de la part de Musil et Kafka. Matériellement, sa vie se déroule entre le chômage, les héritages, de petits travaux temporaires, des publications diverses, la routine quoi.

On dit toujours qu’il faut écrire pour son lecteur, mais ce n’est qu’un raccourci qui n’explique pas. Tous les auteurs pourraient dire la même chose, ce qu’il faut décider, c’est de quel lecteur on parle. Le lecteur fantasmé, la ménagère, le cadre, le lecteur un peu stéréotypé à qui il faut peut-être écrire des histoires de divertissement de majorité peu silencieuse, où le nom de l’auteur, son histoire, son exposition médiatique suffiront peut-être, déjà à attirer l’attention. Ou celui qui vient s’asseoir dans un coin des mots, et qui les suit des yeux avec juste ce qu’il faut d’application, compréhensif, mais pas plus que ça. Lecteur qui n’a pas peur d’être un peu essoufflé, sans avouer que ça fait mal. De vivre.

150 ans. Des mots que Gérald Purnelle qualifie de : « déroutants et originaux » ont été écrits, et nous qui tweetons dans la rue. « Ce n’est pas en allant droit au but qu’on trouve la vie, mais dans les détours » serait peut-être la phrase qui fait le lien, et peut-être pas. Le 7ème enfant d’une famille, Robert Walser n’a pas reçu tant d’amour que ça, et ça pourrait expliquer sa relation au monde. « En vérité je n’ai jamais été un enfant, c’est pourquoi je garderai toujours quelque chose de l’enfance. »

Alors, Robert, le polichinelle vient nous amuser, et nous emmener pas loin de sa solitude. De tels écrivains sont peut-être moins nombreux, (amusez-vous à faire votre liste d’écrivains de la solitude), mais vous verrez, on en trouve, détachés des écrivains mondains à l’aise en ce qui concerne les hommes trop prévisibles, et les femmes trop faciles, les grands prosateurs de cercles, qui savent qu’il faut briller pour se faire connaître et qui n’en sont pas gênés.

Robert Walser, lui, se promène. Nul besoin de s’enfermer et de résister au monde. « Car enfin tout ce que l’écrivain Walser a écrit après-coup, il avait dû le vivre avant. » in Walser à propos de Walser. Écrivain qui se laisse guider par ses yeux, et ce n’est pas forcément plus facile, de coller à l’imprévu d’un souffle qui s’entend, d’une hésitation qu’on perçoit et qui laisse place au rire. Gérald Prunelle parle de cette tentation à propos de Walser de rire de lui faute de pouvoir rire avec lui. C’est un « écrivain de la difficulté d’être qu’il n’exprime guère directement voire pas du tout. » Sensible ? Pas seulement. Généreux dans ses ambiguïtés, trouvant peut-être dans l’écriture, ce qui manque à la vie. « Pour lui, ce qui est écrit existe. », commente Philippe Lacadée.

Comment puis-je parler des textes d’un homme qui s’est mis en scène mais sans ostentation, sans qu’on puisse vraiment dire c’est lui, et pourtant, dans des textes comme Le promeneur, le « je » est partout, qui ne parasite pas le monde autour, un « je » qui ne fait que passer, un polichinelle, un marcheur, un écrivain. Peut-être en se contentant de lire, relire, ce qui suffit déjà à ne pas se tromper de chemin, même si parfois « j’allais et tandis que j’allais je me posais la question de savoir si je ne ferais pas mieux de rebrousser chemin et de rentrer chez moi. »

Alors, si vous êtes encore là, ne vous découragez pas, quand vous avez l’impression que vos tentatives d’écriture sont un peu confidentielles, un conférencier finira peut-être par vous étudier et parler de vous dans cent ans, tandis qu’une comédienne donnera corps à vos mots avec toute la force lyrique dont elle est capable. Et puis, à la fin, vous pourrez marcher jusqu’à l’épuisement et accueillir la mort dans la neige. « Nous refermons le couvercle et remettons le coffret à sa place »

*La formule est le titre d’un ouvrage sur Robert Walser de Marie-Louise Audiberti

Des mots ou des choses

aliettegriz.com
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Midis de la poésie

Le mot et la chose

Compagnie Le Plaisir du Texte

« Il est un jeu divertissant, devinez comme ce jeu s’appelle, le beau du jeu n’est connu de l’époux, jamais on n’y querelle, devinez comment ce jeu s’appelle ? »

Avertissement aux lecteurs qui aiment la précision. (Les autres peuvent sauter trois lignes.)

Les auteurs des citations ne sont pas nommés et en plus, j’ai parfois coupé des parties, sans forcément indiquer les (…) d’usage, mais c’est pour vous mettre dans l’ambiance. La compagnie Le Plaisir du Texte, a fait pareil.

Vous recevez peut-être comme moi le programme des midis de la poésie, et vous vous dites, c’est sympa la poésie, mais ça manque parfois de corps. Et bien mardi dernier, non. Tout le monde se bousculait pour rentrer dans la salle (pourtant largement assez grande, mais c’est ainsi : être le premier reste un fantasme, même pour aller écouter de la poésie).

Et en matière de fantasme, nous allions être servis.

Et puis, les pressés se calmaient aussi vite qu’une tempête médiatique, grâce aux morceaux de gingembre qui étaient distribués, il n’y a rien de mal à se stimuler un peu.

Après, il suffisait d’écouter.

Une sorte de zapping s(t)exuel à travers les âges et les sexes, avec des mots précieux, suggestifs, et d’autres plus techniques ou plus crus.

Étant entendu qu’on est entre gens de bonne compagnie, et que la chose s’approche de manière un peu plus (bien) élevée que la moyenne des phrases stéréotypées sur la question. On ne se limitera pas à « prends-moi » ou « enfonce-là bien profond », mais on entendra plutôt :

« Il m’a pris mille baisers en me faisant darder la langue, m’a baisé la motte et les fesses, puis a dit à sa femme de charge : le dîner est-il prêt ? »

C’est un style.

Et l’occasion d’enrichir un peu votre vocabulaire, vous, lecteurs paresseux, et de vous demander si vous faites l’amour « comme une belette qui joue avec l’eau » ? Ou si vous éprouvez « ce sentiment de solitude d’une personne si purement seule, d’un être qui vit seul » ?

Parce que bien souvent, vous n’avez pas le temps de penser à tout ça, entraînés par vos corps un peu las, mais vite dépassés par l’action, bien incapables d’en dresser une chronologie trop précise. « Corps et corps, vous vous rappeliez le temps où vous n’étiez qu’un corps» C’est bien, mais c’est peut-être un peu réducteur.

Ce n’est pas que vous manquez de vocabulaire, mais qu’attendez-vous pour susurrer à l’oreille de votre amant(e) que « les mains sont carnivores, les mains sont des yeux qui ne mentent jamais » ?

Peut-être qu’au passage, vous aurez envie de vous poser la question de comment on accepte de parler de nos ébats : on est des animaux ou pas ?

Pour épater un peu, vous pouvez vous risquez à filer la métaphore, mais pas sûr que si vous vous lancez un « Ta gorge triomphante est une belle armoire, armoire à doux secret pleine de bonnes choses, tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, tes nobles jambes tourmentent les désirs obscurs et les agace… », vous n’obteniez autre chose qu’un éclat de rire, qui n’empêche rien, mais qu’il faudra dépasser en partageant vos « intentions réciproques ». et elle vous répondra peut-être : « tu sais ce que je suis, une débauchée » ou « dans ta poche gauche, je suis nue »

Et vous l’adorerez. Mais évitez alors peut-être de lui murmurer : « tes bras sont des boas luisants », à moins que vous n’aimiez être étouffé. Elle risque de mal le prendre, et vous répondre que vous n’êtes qu’un « petit tas de muscles et d’orgueil ».

On s’en raconte ou on dit la vérité ? Le Kama Sutra peut vous aider à y voir plus clair. Un homme cheval ne peut pas faire le taureau. Une femme éléphant doit être honorée correctement.

L’homme, la femme, le plaisir. Derrière les mots, quelque chose des relations, avec des auteurs qui ont conscience qu’« une foule d’homme sont dans la plus complète ignorance des sentiments de leurs femmes (…) Comme pour faire du pain, il faut préparer la pâte, de même il faut préparer sa femme, pour le commerce sexuel »

Sinon, vos étreintes risquent de ressembler à une « petite pièce obscure d’une intimité presque sinistre », mais cela ne veut pas dire qu’il faut en faire des tonnes pour « avoir des témoins », vous pouvez aussi aimer les préliminaires discrets et intimes, comme « quand on se pelotonne sous la couette »

Si vous êtes jeunes, ça se terminera par « des rougeurs de fraise » sur les joues, et c’est un signe qu’on ne peut pas forcément cacher. Surtout que Camille s’en mêle. Et,  « Camille a deux petits seins durs presque musclés (…) la main s’insinue sous le tissu râpeux, sa bouche glisse dans la fente si lisse, offre son sexe déjà trempé… »

Tout se passe pour le mieux, et pourtant « nous vivions à mille lieux l’un de l’autre (…) rien en commun sinon, le sexe entre nos jambes », ça permet quand même de se retrouver « bras et jambes ballants » surtout quand il est question d’introduire « le médium dans son vagin ». Je ne vous raconte pas l’effet que ça peut faire.

Et ça se corse quand « L’évêque la posséda de dos, à même le sol ». Inutile de le nier, « Je me sens toute en feu ». (Ou en tout cas, je fais semblant.) Je repense à quelques histoires, « lorsqu’une femme dans un endroit solitaire se penche et perce un homme avec ses seins » Et que « le sauvage, la brute » y prend goût.

Ça peut dégénérer « Lorsqu’en pareille occasion l’un d’eux presse le corps de l’autre contre un pilier ». « Lorsque l’amour devient intense, c’est le cas de pratiquer la pression avec les ongles, aux creux de l’aisselle, et autres zones (…) rien n’est puissant pour accroître l’amour comme les marques d’ongles ou de morsures »

Oui, il y en avait même pour les fétichistes des chaussures, et vas-y que je te « suce à pleine bouche l’un des lacets, (puis) ramasse une poignée de neige et frictionne le sexe ».

On peut aussi crier, et le Kama Sutra cite le son du coucou, du canard, et bien d’autres d’animaux, mais soyez vous-mêmes, quand même.

Faire l’amour n’est pas toujours une partie de plaisir, « comme empalée sur un pivot, la tête au tapis, le dentier qui tressaute en dehors de la bouche ». On n’est pas à l’abri d’un peu de trivialité : « un trou, elle n’était qu’un trou. »

La familiarité n’a rien d’obligatoire, au contraire, vous pouvez déclarer vos flammes en mots plus troublants que les premiers regards échangés avec cette fille qui aimait l’amour en mer (mais vous, vous aviez surtout le cœur qui remonte à la surface.)

« Tu me pénombres… tu me debout et couché… je t’equinoxe, tu m’infiniment, je te fragile, je t’ardente… » et tout se dit un peu, « tu me volcaniques », « nous nous scandaleusement jour et nuit » «  Et quand tu ne haut-talons pas mes sens, tu es phoque. »

Vous en voulez encore ?

A revoir jeudi 27 février 12h40 à 13h30

Centre Culturel Woluwe-Saint-Pierre, Avenue Charles Thielemans, 93 – 1150 Bruxelles

02/773.05.88 info@whalll.be