Avant-propos : par « auteur », nous entendons « toute personne qui écrit ». Nous ne faisons pas de distinction selon le degré de renommée ou le style des écrits de ceux qui ont bien voulu répondre. Merci à eux.
Voici les réponses de Cécile Helleu
Vous écrivez depuis combien de temps ? (Vous pouvez raconter vos débuts…)
Sans doute depuis que c’est devenu un impératif, l’écriture est souvent la voix d’enfants taiseux, par choix ou imposition. En ce qui me concerne c’est aussi devenu une prolongation, j’ai longtemps été promue à une carrière de chanteuse lyrique, quand j’ai cessé de m’entrainer comme une sportive de haut niveau, l’écriture s’est avérée la continuité d’un mode d’expression qui était une forme détournée de la parole pure.
Vous êtes un homme ou une femme ? (Et est-ce que vous avez l’impression que ça change quelque chose à votre travail ?)
Je suis une femme et bien entendu cela a de multiples incidences sur mon travail. La première : conjuguer les postes de femme de, mère de, et écrire. En cela, l’écriture qui a besoin d’espace, de concentration, d’immersion dans les mondes que l’on décrit, défavorise les femmes qui demeurent malgré de nombreuses évolutions les gardiennes du temple du Home. Ensuite il y a la posture de l’écrivain-femme, laquelle a infiniment plus de mal à s’imposer dans le milieu ( je parle pour la France ) de la littérature, les prix, la presse, relèvent chaque jour de cette non-parité criante. La voix des femmes est souvent sujette à des polémiques que n’ont pas à subir leurs homologues masculins, on leur pardonne peu d’ouvrir leur grande gueule quand elles en ont une, il suffit de lire ce que déchaine comme violence ( sans même évoquer tout jugement littéraire sur l’œuvre elle-même ) certaines parutions ( Angot, Iacub, Bernfeld, Despentes… pour ne citer qu’elles…) pour constater que la parole de la femme si elle n’est plus muselée, souffre toujours d’une répression forte. En trois je dirais que dans le monde médiatique qui est le nôtre, la position de la femme écrivain la place malgré elle dans une représentation liée à son physique, les vecteurs de communication ne résistent jamais aux sirènes d’un joli minois ou d’une allure. Et enfin en quatre il me semble que l’on pardonne moins aux femmes la transgression de la vérité, le sujet de l’autofiction (qui ne fait plus débat comme dans les années 2000 ) l’a vertement démontré, on absout moins facilement celles qui prennent la parole pour dénoncer ( soit en leur nom propre soit sous pseudonyme ) ce qui se passe dans le cœur des familles, dans l’enceinte d’une société toujours hétéronormée, encore sous le joug de millénaires de domination masculine.
Est-ce que vous travaillez à côté, et si oui, que faites-vous ? Est-ce que vous trouvez que c’est facile à concilier ou ingrat ?
J’ai toujours travaillé et toujours en marge pour écrire libre. J’ai eu l’intuition très jeune que faire de mon métier l’écriture – on m’a souvent proposé/conseillé de m’orienter vers le journalisme, j’ai toujours sauf quelques rares exceptions refusé – m’amputerait d’une liberté de ton et d’expression. J’ai donc appris très jeune à exploiter les nombreux temps morts qui jonchent certains de nos métiers pour les changer en moments d’écriture. J’ai aussi appris à voyager pour m’extraire de mes mondes et du quotidien, dès lors que la maternité m’empêchait comme autrefois d’exploiter mes nuits à cet effet. C’est bien entendu parfois ingrat, souvent sacrificiel, celui qui voyage en écrivant n’est pas très différent de la caricature du japonais passant son temps à filmer ce qu’il voit au lieu de vivre simplement l’émotion de la vision.
Connaissez-vous la répartition des recettes du livre, et si oui, qu’en pensez-vous ?
Je n’ai jamais compté sur mes publications ( et j’ai plus que bien fait, sourire ) pour subvenir à mes besoins, et comme certains peintres ou plasticiens aujourd’hui ont presque le sentiment de devoir payer pour être exposés, la rente de ce que rapporte la publication n’est rien en comparaison de ce que cela représente aux yeux d’autrui lorsqu’on a la chance d’être édité. L’objet livre est toujours source d’une fascination, et représente une sorte d’étape obligée de la reconnaissance, la première question que l’on vous pose, unilatéralement ( faites le test ), lorsque vous dites écrire est : Ah oui, et tu as publié ?
Que pensez-vous des prix littéraires ? Vous en avez déjà reçu ?
J’en pense des choses sexistes, et si on peut croire que parce que je n’ai jamais été primée j’en retire une quelconque rancœur, j’insiste lourdement, ça n’a rien à voir. je constate sobrement que les prix comme les médailles sont une histoire d’hommes, qui tendrait à démontrer que le monde de l’édition est une gigantesque caserne, dans
laquelle les soldats s’auto-congratulent pour leur témérité au combat. Les femmes ont souvent d’autres guerres à mener…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les hommes. Le monde. Inscrire le présent. Décrire.
Quand vous avez commencé, est-ce que vous pensiez continuer longtemps ?
Cette question nous ramène à la première, sur « les débuts », il n’y a pas d’intuition particulière en ce qui me concerne, chaque livre ( publié ou non ) laisse comme pour toute œuvre chez tout artiste un sentiment de vide et d’achevé qui réclame un lot de vie supplémentaire avant, inéluctablement, de s’y remettre. Je ne crois pas qu’on choisisse véritablement ce sacerdoce que représente parfois l’écriture, cela s’impose à ceux et celles qui n’ont d’autre moyen d’exprimer leur vision. Les nombreux artistes dans divers domaines que je fréquente diront je le crois la même chose, on est musicien ou peintre ou réalisateur ou danseur parce que nous ne savons rien faire d’autre.
En écriture, vous êtes un compulsif ou un émotif ? (En gros, vous abattez tout le boulot dans n’importe quel contexte et plus encore, ou vous devez d’abord vous mettre en condition tout ça tout ça, avant de vous lancer ?
Abattre le boulot est une expression qui va bien aux bêtes de somme que sont les écrivains tant est parfois rébarbatif leur quotidien. Pour ma part il me faut généralement être acculée par le temps, ou à l’inverse en être totalement extraite (contexte particulier) pour me mettre à l’ouvrage. Mais c’est précisément lorsque je m’y mets enfin que je constate à quel point toutes les circonvolutions qui ont précédé (faire autre chose, tourner en rond, sembler ailleurs) sont le ciment solide, le terreau fertile de ce qui sort en phrases. L’inconscient est mon premier allié, il enregistre, malaxe, dissèque, fait le tri, et quand je passe à l’œuvre, il restitue de façon océanique tout ce qu’il a déjà digéré.
L’écriture, ça vous fait du bien ou du mal ?
Les deux mon capitaine. Le bien c’est quand c’est fini. Le mal c’est tout ce qui précède (sourire ).
Écriture numérique ou écriture papier ? (Comment diffusez-vous votre travail, et qu’est-
ce qui vous semble différent entre les deux, si vous pratiquez les deux ?)
Par tous les moyens possible. J’ai été une pionnière de l’écriture en ligne, je vomissais le mot « blog » et ai très longtemps résisté à l’appel des commentaires en direct à travers plusieurs sites, puis j’ai fait comme tout les geeks de mon espèce, j’ai eu des blogs, je raconte des âneries ( mais pas que ) sur les réseaux sociaux, et pour la première fois depuis le décès de mon éditeur ( Guillaume Dustan ) en 2005, je souhaite de nouveau voir ce que j’écris actuellement exister en version papier. La consécration de la publication me fait de l’œil ( sourire ).
Est-ce que vous avez l’impression d’exister en dehors de ça ? (Plusieurs réponses possibles)
Demandez le à ma famille, à mes amis. Ça n’est pas à moi de répondre à cette question.