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2014-10-27 18.02.16

#EncoreUnePhotoPriseAvecUnTéléphoneEnRoute

Je voulais venir te dire au revoir cette semaine. Enfin, je ne disais pas ça, « te dire au revoir », je disais juste que je voulais venir te voir.

Parce j’étais inquiète pour toi, inquiète de la tournure que ta vie prenait, et triste aussi. Mais on n’a jamais parlé de ça, de la tristesse que c’était, de te voir comme ça. Je ne t’ai jamais dit que ta force m’épatait, et que toute cette faiblesse ne te ressemblait pas. Je n’ai pas pu vraiment te parler de toi, même si je t’écoutais, et que je te croyais. Quand tu m’as écrit le 23 septembre : « oui, ça avance doucement mais sûrement dans la bonne direction. Bisous », je t’ai cru. En partie, bien sûr, parce que je savais que c’était dur. Mais ce que tu disais comptait plus pour moi que la peur de ce qui pouvait se passer. Quand tu as arrêté de répondre à mes messages, j’ai continué à en envoyer, en espérant que tu les lises. Je savais que tu avais ouvert un compte twitter en septembre, et ça m’amusait. Je savais que tu n’étais pas du genre à attendre. Et puis, il y avait cette peur de l’intrusion, d’être trop présente, et que ça soit gênant pour toi, qui avait peut-être envie de lutter, sans être envahie par toutes les bonnes volontés qui passaient. Qu’on se verrait quand tu irais mieux.

Je ne saurais jamais si je me suis trompée, et si j’aurais dû faire autrement. Pour toi, pour ce que ça t’aurait apporté à toi, je veux dire. J’ai eu l’impression que ta force ne venait pas forcément des autres, mais je me suis peut-être trompée.

En partie parce que je ne voulais pas te brusquer, en partie parce que c’était compliqué avant, j’ai planifié de venir cette semaine, avec la peur, déjà, que ça ne soit plus possible. Mais je ne voulais pas parler de cette peur, et je ne l’ai pas fait, et je m’en suis tenue à l’absurde exigence d’être raccord avec mon agenda. Alors quand j’ai reçu la nouvelle de ta disparition, la peur que j’avais si bien contenue a pris ses aises, bien installée, et prête à inviter ses copains, l’accablement, et les larmes en circuit fermé.

La première fois que je t’ai vue, je t’ai acheté une bouteille du vin des copains et une du vin des copines. Tu portais un pull vert, et tu avais les joues rouges…

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir des visions de toi, en mouvement, en paroles, de scènes vécues, la rencontre, beaucoup de scènes au magasin mais pas seulement, quand tu es venue me voir en neonat, toute recouverte d’une blouse, quand je t’ai vue, toi, en jeune maman, des souvenirs de discussions que nous avions pu avoir, et c’étaient de bons souvenirs, un peu hors-contextes de nos vies et nos quotidiens, on se voyait parfois, quand on avait le temps, et ce n’était pas souvent.

Qu’est-ce qu’on sait vraiment de ce qu’endurent les autres ?

Tu m’as dit une fois ou deux, quand tu passais manger un œuf à la coque entre deux traitements, que c’était dur, mais pas plus. On parlait pourtant de ta maladie, de comment tu envisageais la chose dans sa globalité, et tu prenais ta vie en compte, et tu as passé du temps à mettre de l’ordre dans les non-dits et les mises à l’épreuve héritées, qui s’ancrent dans nos corps.

La dernière fois que je t’ai vue, tu étais faible, on voyait bien comme tu étais grande, et même si ça m’a choquée, ta maigreur, j’ai trouvé que ton corps avait la grâce d’un bambi qui finira bien par arriver, quelque part. Tu m’as demandé de te parler, parce que pour toi, c’était difficile. J’ai passé une heure à te raconter nos vies, et tu disais que ça te faisait plaisir, et tu me demandais de continuer. Et puis je suis partie.

On ne se verra plus. Non. Tu es la première tombée, trop jeune, avant les autres, et nous, on vieillira peut-être, ou pas. La vie ne livre pas ses secrets de fabrication. J’aimerais encore venir parler de ça avec toi.

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