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Tous les ans depuis longtemps, j’écris des vœux. En une phrase, une photo, un texte. Pendant des années, c’étaient des vœux uniquement privés. Des cartes plus ou moins kitsch avec un message qui faisait passage. Et puis, j’en ai écrit pour les autres des blogs. Et puis, les réseaux m’ont aussi donné envie de mettre des pierres griz au milieu des autres qui savent savamment souhaiter des trucs. Comptes-rendus des années et promesses à venir, désirs et amours en vitrine. J’aime bien ces places qu’on occupe ensemble, à s’échanger des points de vue qui nous font plaisir, et même si parfois on s’envie, on s’envoie des klash et des conneries s’imposent en diktats, même si tout ce qui se partage est pas le monde dont on rêve, je suis resté.e réseauté.e et fidèle à celles et ceux qui le sont.

La connexion a fini par demander tant d’assiduité que j’ai eu peur un jour, de zapper d’appeler ma mère et mes frères, et d’embrasser Tic&Tac, mes enfants écureuils qui donnent aussi parfois l’impression qu’iels préfèrent leurs écrans à leur maman. J’ai tant misé sur ce qui pouvait se montrer à d’autres pendant tant d’années, mes doigts ont tellement scrollé, que chaque jour, j’éprouve combien c’est devenu compliqué de tenir en place, sans être connecté.e. Je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui, sans cette possibilité d’être ami.e.s sans jamais se voir, en cherchant à mettre en scène ce qui fait plaisir, ce qui fait mal.

Un demi-siècle me portera en août. Cette entrée de blog, c’est l’occasion de regarder où je suis, avec qui, pourquoi ? L’occasion de considérer l’intérêt des jachères pour laisser reposer le terrain des connexions.

J’ai aimé l’année qui m’a permis de vivre la publication de « Co-Naître » au cinéma Nova, avec certaines des autrices présentes et d’autres pas loin dans le téléphone, et de « Plier l’hier » grand livre de poésie rose et noire qui a mis vingt ans à voir le jour, plein des dessins de Flise.

En 2022, c’était ça être auteur.e et c’était avoir envie de travailler moins mais travailler plus (dans mon utopie, tout le monde aurait un hamac et un temps hebdomadaire pour faire la sieste dedans) Devenir la co-médiateur.e du festival Fame avec Nouche et passer six mois à courir d’un bureau à l’autre et aimer ça. Et écrire trois poèmes par-ci par-là, et une demande de bourse de vingt pages, énièmement refusée, et un texte « de base » pour Papier Machine, et un week-end pour tenter de se situer dans un poetik gang. Et des mots quenouilles.

J’ai travaillé encore et toujours en confondant tout ce que je pouvais garder dans le trouble de plusieurs plis à prendre et appris. Comment faire écrire et écrire avec et se dire que c’est ainsi que je veux me faire auteur.e. J’ai appris des heures à (s’)habiter comme on peut, et à déménager les bureaux des Midis de la poésie à la Maison poème. J’ai animé une centaine d’ateliers d’écriture et pratiqué au moins deux-cents heures de kung-fu. J’ai passé une année infiniment moins compliquée que les quatre précédentes. J’ai écrit des plannings et testé mille ruses et accepter mille excuses dans le quotidien partagé avec des ados. Je travaille désormais avec Haleh Chinikar, à la médiation, et sa présence me permet de me décentrer et de ne pas oublier que la révolution est un horizon qu’il faut soutenir.

J’ai aimé, j’ai été déçue, j’ai écrit des poèmes de rencontre, je me suis inscrit.e et désinscrit.e des sites où s’envisage la séduction sous des paramètres tordus et sincères à la fois. J’ai croisé là d’autres addictions à tendance mélancolique, j’ai eu des rendez-vous et des fous rires. Et comme le grand amour c’est celui que tu te portes à toi-même et qu’il manque parfois de crédibilité, j’ai accepté chaque minute où rien de ce qui était autour n’était juste. Et l’amour, il s’engouffre malgré tout, malgré toi, malgré lui.

Chaque jour apporte sa leçon de bons sens pluriels et contradictoires, une vérité, une envie de justice, une horreur en chassant l’autre sans possibilité de réparation.

Qu’est-ce que c’est qu’une année réussie ? Une où tu pleures moins que tu ris ? Une où tu aimes plus que tu hais ? Une qui ressemble à la première phrase du Discours de la méthode, de René Descartes ? (Pitié.)

 « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée car chacun pense en être si bien pourvu, que celleux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’iels en ont. » Cette phrase, je l’ai toujours trouvé incompréhensible. Je sais qu’elle veut dire que les humain.e.s sont pas d’accord sur ce qu’est le bon sens, ce qui pose pas mal de problèmes de valeurs et de modalités pour envisager des actions collectives. Descartes écrit pour penser le contraire, justement. Une façon d’être au monde qui dit que la raison c’est un truc individuel, mais son livre est écrit et publié en français, dans un temps où le latin c’était la langue des savants, afin d’« être compris des femmes et des enfants ». Ce truc individuel n’est pas réservé et inaccessible. Le livre contient quatre maximes que tout le monde pourrait suivre, et voilà la méthode. Le texte est court, plein de thèses à foutre à la poubelle (les humain.e.s comme maîtres et possesseur.e.s de la nature, on n’en finit pas de payer les conséquences.) Mais la démarche reste quelque chose qui m’a permis de ne pas me laisser noyer dans le bain dans lequel j’ai grandi et de comprendre qui j’étais.

J’y pense aujourd’hui, pour renouveler les vœux de connexion et d’engagement pour pas juste dire : 2023, tu iras où tu veux sans moi. J’ai fait le vœu de moins publier de contenus rapides. Me ranger des bacs à grains de sable qui s’écoulent sans que jamais le sablier ne soit vidé.

Vers vous, je m’engage à ne jamais oublier que nos bons sens sont pas raccords, et contre Descartes et d’autres que j’ai croisés sur ma route, amenés comme seuls guides du monde qu’on connaît, je renvoie là où j’ai appris à être en vie.

Un bouquet final de 23 hyperliens consultés en 22*.

Répète avec moi : y en a marre

Découvre Yvonne Sterk par Milady Renoir

Cours écouter Soledad Kalza et Sina Kienou

Respecte Viola Davis the woman king et bien plus

Podcast Mémoires de Juliette Mogenet

Admire les collages de Norma Berardi

Prends une leçon d’architecture et de futur avec Alyssa Amor Gibbons

Continue à lire des livres de la maison d’édition le port a jauni

Clique sur la vidéo pour pas oublier Christophe Tarkos

Reste fidèle à la revue Papier machine

Dis-toi que la vie c’est comme les dessins de Gwen Guegan

Chante les chansons que mes frères m’ont apprises de Chloé Zao

Fais ton way avec Nina Simone et son My way

Cogite avec Maggie Nelson pour chanter la liberté

Appelle-moi poésie

Apprends de Xeno exhibitions

Podcast vivons heureux avant la fin du monde

N’oublie pas qu’Only voice remains

Crois en la fée du Mile end  

Rapproche-toi de Kathy Acker

Apprends de Réjane Senac

Oublie Descartes et cherche la méthode avec les glorieuses  

Admire Mahnaji et ses urbex

* Cette liste n’est pas un modèle et pas la seule possible. L’ordre des liens est aléatoire.

#bizgriz

 

photo (c) https://mathieufarcy.com/