mots d’écran

Je suis une femme à rollers plus qu’à patins. J’ai connu tellement d’heures en roue libre. J’aimerais mourir avec un patin dans la bouche. Pas une lame, une langue. J’ai la mémoire du goût et du patin. Du goût du patin. Je vais pas te dire que j’ai patiné plus que toi. Si ça se trouve, c’était moins. J’ai appris le roller en un clin d’œil. Le bitume m’appelait, et bon, j’avais cette impression un peu trop assurée que je maîtrisais la situation. J’ai patiné le plus possible, et sur toutes sortes de surface. Patiné au cinéma, la première fois. J’étais pas de glace, je te jure. Je crois qu’on était allé voir Le Grand Bleu et ça patinait sec. Je n’ai rien vu du film. Le gars s’appelait Xavier. Après, d’autres patins avec un autre Xavier. J’aimais mieux le deuxième parce qu’il avait les yeux gris. Le premier était pas champion olympique, mais en patin, tu vois, comme en tant de choses, je suis pas difficile. Il était gentil. Je ne peux pas résister à un gentil patineur. Je sais bien que côté souvenir, les heures à la patinoire risquent de te sembler monotones. J’ai souvent patiné seule et je m’ennuyais jamais. Patine, mais patine bien. Il faut quelque chose qui rende la performance inoubliable. J’ai quelques contextes pour ça. Le patin avec le garçon qui allait mourir. Moment d’éternité. Le patin dans la nuit, le patin dans les greniers du lycée avec l’assistant d’anglais, le patin avec ton pote et bon, c’est parce que les désiré.e.s sont pas au rendez-vous, mais faut bien s’occuper. Le patin du mariage, quand tu te dis : Dieu m’a donné la foi et une robe blanche et je joue le rôle à la perfection. Le patin caché dans les froufrous des journées trous du cul. J’ai patiné le jour, j’ai patiné la nuit. J’ai eu mal aux pieds et au cœur, souvent. A bout de souffle, je fus. En bout de course. Quand je t’embrasse pour la première fois, j’ai peur de ce qu’il y a dans ta bouche. Une langue qui va s’enrouler comment. Puis, j’aime tes patins au ralenti. Et les huit à l’infini, les saltos mordus. Les surplaces avant la course. Les compétitions de parfait dosage entre la salive et le plaisir partagés.

J’ai patiné à travers les âges, et la glace s’est rayée, fendue par les écarts toujours plus grands entre le premier coup de patin et le dernier qui bien souvent, est expédié. J’ai patiné et j’ai cru que la patinoire allait fermer. J’ai cru qu’il fallait se faire une raison. Il faut la jambe assurée pour patiner. La langue un peu déliée. Je sais que l’entraînement n’est pas tout. La chance glisse et te fout à terre, si tu fais pas gaffe. Alors, tu doutes, et tu te dis : le patin, c’est fini. Je comprends. Mais quand tes limites sont petites. Yolande, 96 ans, patine encore, la coquine. Tu la connais pas. Et alors ? Laisse glisser.  

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